
07 Fév TULIPES
Il semblerait que, périodiquement, « la peinture » demande à ceux qui la servent de se contenter, pour explorer ses possibilités, de programmes (relativement) simples. Ainsi, Vincent Gassin, ayant prévu d’occuper en entier un mur (disons blanc, pour faire vite), feint de laisser la couleur oeuvrer de son propre mouvement – comme si les coulures se substituaient à ce qu’aurait pu produire un dessin. Les flux chromatiques, sous le seul affect du poids du médium, se frôlent, s’entrecroisent, se recouvrent plus ou moins, se trouvent ponctuellement déviés par les infimes reliefs du support, et passent ainsi d’une pureté initiale à des mélanges impurs. La seule gravité définit les traînées et leur ampleur relative, les plages irisées, les nuances imprévisibles qui témoignent à leur manière du « laisser faire » décidé par le peintre, qui clôt son intervention en suggérant une évocation de (pourquoi pas ?) « tulipes ».
Dans cette installation de peinture, le support est à l’évidence transformé. Pas seulement parce que, pour le spectateur, il peut être difficile de choisir entre mouvement ascendant et chute des lignes ou bandes colorés (ce va-et-vient n’étant qu’un aspect d’un trouble visuel plus général), mais surtout parce que la réalité spatiale du mur s’efface derrière ce qu’il donne à voir : loin de rester inerte, la surface coopère à l’effusion picturale – au point qu’un retour à son état antérieur risque d’en révéler l’ordinaire vacuité.
Ce qui limitait fonctionnellement un espace et faisait obstacle au regard devient paradoxalement un facteur de visibilité : agir sur un mur avec la peinture, c’est, non le dissimuler, mais lui apporter une efficacité nouvelle, que l’on pourrait qualifier de poétique, si l’on entend dans l’adjectif la résonance d’un « faire » premier. « C’est poétiquement que l’homme habite la terre ». Rien ne prouve que Vincent Gassin ait eu en tête cette affirmation de Höderlin lorsqu’il a pensé son travail ; et il sait comme d’autres que la vie quotidienne (le social, l’économie, la mode …) nous somme de l’oublier. Mais il paraît heureusement s’obstiner à montrer comment la peinture participe à la définition toujours inachevée de ce que doit en effet être notre manière d’habiter le monde.
Gérard Durozoi, 2009
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