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GALERIE CORTI

GALERIE CORTI

Le Plus Proche Village

« Mon grand-père avait coutume de dire : La vie est étonnamment brève. Dans mon souvenir elle se ramasse aujourd’hui sur elle-même si serrée que je comprends à peine, qu’un jeune homme puisse se décider à partir à cheval pour le plus proche village sans craindre que – tout accident écarté – une existence ordinaire et se déroulant sans heurt ne suffise pas, de bien loin, même pour cette promenade. » 1

Difficile proximité – mais pourtant plus radicale, plus réelle et plus certaine – que celle dont l’objet n’est pas su ni préalablement donné. Chaque forme, chaque couleur, chaque grain d’or parsemé, chaque transparence verdâtre ou blanchâtre, comme toute autre exactitude parfaitement désignée, nom géométrie ovale repentir retour hésitation trace vierge trace d’un outil absence de trace matière étisie blanc quantité surface effleurement toile brute mate geste opacité recouvrement rétention expérience format série récurrence vert aqueux chimique féminité support silence amande christique rappel histoire voile linceul empreinte tout cela existe conjugué de diverses façons chaque fois qu’un regard qui lui-même s’y conjugue le découvre et comme tel le décrit et l’ordonne.

Difficile proximité dont chaque tableau, l’un après l’autre, en même temps, reste toujours le seul territoire et l’exclusive mesure. Dans la légende chrétienne, Véronique appose un linge sur le visage du Christ pour en éponger la sueur. La Sainte Face l’empreint immédiatement – c’est à dire sans médiation.

Difficile proximité enceinte d’un lieu et d’un moment où le tableau s’absente d’elle comme il s’absente de lui-même, accède imprévisiblement et sans raison et sans outrage à son évident et inouï mutisme, forme la plus accomplie de son évidente et incompréhensible parole, silence tenace qu’il tient pour son centre et son origine, dont quelques aplats nécessairement incertains et définitifs, diaphanes et ténus, aléatoirement rigoureux, tentent chaque fois d’ébaucher le contour.

Difficile proximité de quoi ? D’aucuns objet probable sinon du tableau lui-même qui ne sera jamais, toujours, que l’image d’un autre qui lui ressemble, si semblable à lui qu’immédiatement éclos il se découvre perdu, à l’endroit-même de cet espace quadrangulaire qu’il ouvre et qui simultanément l’accueille, espace qui mêle sans contradiction un futur immédiat et son désir jamais comblé.

A l’orée du plus proche village, « il faut qui ceci soit entendu : je n’ai rien raconté d’extraordinaire, ni même de surprenant. L’extraordinaire commence au moment où je m’arrête. Mais je ne suis plus maître d’en parler 2 ».

Pour Vincent Gassin, à l’occasion de son exposition à la galerie Corti.

Tours, octobre 1994.

F. G – R

1 Franz Kafka, Le Plus Proche Village, trad. A. Vialatte. Gallimard, 1946.

2 Maurice Blanchot, L’Arrêt de mort, Gallimard 1948.

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