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GÉRARD DUROZOI

GÉRARD DUROZOI

 

À suivre …

Pour certains artistes, exposer, n’est rien de plus que montrer périodiquement les dernières variantes d’une image de marque, qui, une fois définie, est aisément reconnaissable. Mais pour d’autres, l’exposition est bien davantage l’occasion d’une prise de risque en même temps qu’une véritable découverte de leur travail, une découverte qu’il partage en un sens avec les spectateurs. Vincent Gassin appartient évidemment à cette seconde catégorie. Non seulement parce qu’il se manifeste rarement, mais aussi parce qu’il n’hésite pas à proposer des ensembles d’œuvres qui peuvent sembler, sinon hétérogènes, du moins nettement différenciées : c’est qu’il est le premier à attendre de leur rapprochement quelque éclairage inédit sur sa pratique.

Affirmant sa démarche comme ouverte, constituée jusqu’à présent d’une suite de « recherches », il est en quête, sinon d’une cohérence en fait déjà bien présente, du moins d’une lecture globale qui l’autorise à accomplir sa prochaine étape.

Cette posture,  privilégiant le déploiement de moments distincts sur leur prétendue synthèse, produit des échos immédiats chez le spectateur (pourvu évidemment qu’il consente à son tour à ne pas figer son regard), qui se trouve par exemple invité à expérimenter différentes distances de vision. Les dessins en pointillés, à l’encre verte, demandent à être examinés de près si l’on veut y percevoir la naissance des figures, tandis que les gestes déposant sur le papier leurs courbes d’acrylique, qui génèrent leur espace spécifique par le seul jeu de leurs transparences et de leurs recouvrements partiels, exigent du recul, tout comme les toiles, de format plus modeste, où s’esquissent des formes oculaires ou buccales. Le plus souvent, c’est une alternance de proximité et d’éloignement qui est de mise. Ainsi en va-t-il des assemblages de dessins, dont chacun, qu’il évoque ou non un objet ou un être reconnaissable, se trouve enrichi par ceux qui l’environnent, dans un réseau complexe de connivences et d’écarts, en sorte que le regard peut s’attarder sur chaque détail aussi bien que rêveusement flotter sur l’ensemble avant de trouver quelque ancrage sur une feuille qu’il va interroger. Cet aller-retour du tout aux parties se revit bien entendu avec les petites toiles proposant des « Larmes », dont la forme peut être traitée en positif ou en négatif, mais aussi avec les sérigraphies juxtaposées sur un mur, et plus encore peut-être avec les « Constellations » : cette évocation des corps célestes ne peut manquer, par ce qui, d’un peu loin, se devine en fait de détails dans les gobelets noircis, d’attirer le spectateur vers ces derniers, pour y découvrir les multiples gravures qui en animent les parois.

Dans une telle exploration, on pourra constater ce qui, d’un ensemble à l’autre, fait retour : des formes, des gestes, ou plus précisément par exemple les dessins géométriques de spirographe qui, déjà présents dans certains dessins, s’affirment en masse dans les sérigraphies. C’est dire que tout moment du travail peut être riche de prolongements inattendus, que chaque inscription pourra se développer, en un moment ultérieur comme si elle était d’abord riche de potentialités que seul le temps peut mener à leur maturité. Cela  suppose chez le peintre, non de la simple patience, mais bien de la modestie – car c’est alors lui qui, au lieu d’affirmer sa propre maîtrise sur la peinture, consent à en attendre les développements autonomes. Sans doute est-ce la seule attitude convenable pour qui prend la peinture au sérieux … mais reconnaissons qu’elle est devenue rare …

Au-delà de ces retours partiels, on devine que la démarche de Vincent Gassin est unifiée par une trame discrète, néanmoins perceptible dans certains usages « allégoriques » de ses formes. Le geste instaurant l’espace, la multiplication des spires, les « Bubbles » où la couleur est déposée comme par l’éclatement d’une bulle (et qui sont aussi des planètes), les angelots ou les nuées finement gravés dans les « Constellations », la déclinaison de « Larmes », les formes doubles évoquant les cavités buccales, aussi bien que certaines toiles réservant dans la couleur un passage lumineux ou aéré et les dessins juxtaposants les fragments d’un « réel » qui s’affirme inépuisable : tout cela « fait signe » vers l’idée d’une Genèse et vers les récits anciens qui la content – qu’il s’agisse du souffle divin animant Adam ou de quelque autre mythologie. Vincent Gassin, qui montre des travaux affirmant une évidente légèreté et participant d’une esthétique (ce peut être aussi une éthique) de la discrétion, révèle ainsi l’envers de sa démarche, et sa rare ambition que son art explore et explicite le mouvement d’apparition des choses – ce moment insituable où elles hésitent entre l’affirmation et l’effacement, cet équilibre fragile grâce auquel tout advient et peut-être, mais sans insistance ni lourdeur. Ce faisant, il s’interdit l’anecdote ou le narratif, mais aussi l’invasion par la subjectivité : peindre l’apparaitre que recouvre toute apparence, c’est chercher le contact avec l’universalité de cet apparaître, et se fondre dans une énergie anonyme.

C’est l’ampleur du projet qui condamne à la modestie, et qui ne peut s’exposer que sous l’aspect d’un « work in progess ». Celui-ci connaîtra des versions ultérieures, puisque faire coïncider peinture et genèse, c’est aussi dévoiler inlassablement la genèse même de la peinture – et donc sa nécessité ; mais on peut affirmer, sans attendre ces prochains états, qu’il convient désormais d’être particulièrement attentif au travail de Vincent Gassin. ce qu’il s’y trouve à l’oeuvre, c’est la peinture, dans sa conception la plus exigeante.

Gérard Durozoi, 2004

 

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